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Yordan

« Je me suis créé l'image de ce que je voulais être. »

Quatre ans après son premier témoignage, nous faisons le point avec Yordan sur le temps qui s'est écoulé depuis lors. C'est devenu un témoignage sur le retour à soi grâce au soutien de l'entourage. Une conversation franche sur la façon dont une communauté fait office de soutien tout en rendant malheureux. Le récit de l'acceptation de soi et du refus des stéréotypes, des étiquettes et des images d'Épinal. 

Le Yordan que nous avions rencontré il y a quatre ans au Café Den Draak était un jeune homme de dix-huit ans un peu timide, en quête d'idéal. Quand on lui demande ce qui le rend heureux, sa réponse trahit l'aspiration à quelque chose d'encore insaisissable : "C'est tout le chemin déjà parcouru et celui qui reste à parcourir. Chaque opération, c'est un pas de plus vers l'idéal tant rêvé. Mais surtout, c'est le moment où je vais pouvoir me regarder dans le miroir et me dire : 'c'est toi'.

Lire ce témoignage maintenant est une confrontation et une prise de conscience", lance-t-il. Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts au cours de ces quatre années, pour moi aussi. J'ai énormément gagné de confiance en moi."

 

Lisbonne

La clé de cette confiance en soi est à chercher quelque part dans le sud de l'Europe : "Après mes secondaires, j'ai travaillé dans un centre d'appels à Lisbonne. Il fallait que je prenne un peu mes distances avec la Belgique, car tout devenait trop lourd pour moi : j'avais des problèmes avec ma famille, je ne savais pas qui j'étais. Alors j'ai fait mes valises. Personne ne me connaissait là-bas. J'avais le choix : allais-je me présenter comme Yordan, le transsexuel, ou comme Yordan tout court ? J'ai opté pour la seconde solution."

Ce choix, et surtout la réaction des autres, fut très important dans son acceptation de soi : "Cela m'a fait vraiment du bien de pouvoir vivre comme un garçon pendant un an. Je n'avais pas à me justifier systématiquement ni à parler de mes opérations. Mes collègues étaient au courant, mais n'ont jamais cherché à savoir, ou alors très rarement. Sur la plage, je pouvais enlever mon t-shirt : on ne me dévisageait pas. La première fois, on m'a interrogé sur mes cicatrices, mais plus par la suite. Être accepté tel que je suis m'a fait beaucoup de bien. J'étais juste Yordan, pas Yordan le transsexuel. J'ai réalisé que ces cicatrices et le bagage que je porte ne me rendent pas différent en tant que personne. Je suis moi, et je suis suffisamment masculin à mon goût."

One of the boys

Il y a quatre ans, Yordan était ravi du soutien reçu de sa famille. Ses parents ainsi que ses frères et sœurs lui ont apporté une aide inconditionnelle pendant sa réassignation. Aujourd'hui, le lien avec ses frères est plus fort que jamais. "Un jour, j'ai carrément dit à un de mes frères que j'avais super peur de ne jamais être proche de lui, parce que c'est un vrai macho, et que nous n'avons pas grand-chose en commun. Sa réaction m'a fait chaud au cœur : "Yordan, tu restes mon frère et je t'aime. Tu n'as pas besoin de faire de la gonflette avec nous à la salle de sport, tu n'as pas besoin de nous parler de filles. On t'adore comme tu es. Ça ne sert à rien de te forcer à être ce que tu n'es pas."

Yordan peut être totalement lui-même avec ses frères et avec leurs amis. Selon ses propres termes, ça lui "donne la patate". "J'étais terrifié, mais ma peur était en réalité une idée préconçue. Ils m'ont complètement accepté, et c'est vraiment cool d'être one of the boys, et non un drôle d'OVNI."

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Un lien de confiance

À un moment donné, la relation avec ses parents a tourné à l'aigre. "Nous avons à un moment traversé une grave crise. Ça dégénérait souvent en agressivité verbale. La faute aux hormones. Je vivais une crise d'identité, et tout ça cumulé a conduit à l'affrontement. J'avais l'impression que mes parents ne me soutenaient plus. Ils avaient arrêté de me poser des questions sur ma transition et ne payaient plus mes hormones. Longtemps, j'ai pensé que j'étais seul à traverser l'épreuve et qu'ils n'y comprenaient rien. À Lisbonne, je me suis rendu compte que mes parents aussi devaient passer par un processus difficile." 

Une fois rentré de Lisbonne, Yordan a renoué avec eux : "Avant, je refoulais beaucoup de choses, par crainte de leur réaction ou des disputes. Quand je suis rentré au bercail, nous avons mis les choses à plat. J'ai parlé ouvertement de mes incertitudes et de mon besoin de validation. J'ai fait mon mea culpa. Souvent, je n'avais vu les choses que de mon point de vue et je ne m'étais pas mis à leur place. Ils m'ont été très reconnaissants de ma franchise. Mes parents et moi sommes beaucoup plus empathiques l'un vis-à-vis de l'autre et nous nous sommes rapprochés. Mes parents, et surtout ma maman, sont à nouveau mes confidents. Je peux parler de tout avec eux, y compris de ma chirurgie de réassignation. Quand nous étions brouillés, j'avais perdu ce lien. J'apprécie d'autant plus qu'ils soient redevenus mes confidents." 

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Être pleinement soi

Yordan est reconnaissant de tout le soutien et des explications qu'il a reçus d'autres trans et de membres de la communauté LGBT : "Tous ces gens ont été mon filet de sécurité : ils m'ont sorti de mon cocon et m'ont permis de déployer mes ailes. Je suis toujours membre de Brotherhood, un groupe Facebook réservé aux hommes trans. Les témoignages que j'y lis me confortent dans l'idée que je ne suis pas seul." 

Pourtant, Yordan a aussi consciemment pris une certaine distance par rapport à cette "communauté". Il s'est trop comparé à d'autres trans et s'est mis en difficulté : "Je souffrais de voir que certains aient déjà de la barbe, une voix plus grave ou avaient été opérés, alors que j'étais toujours en attente d'une intervention. Ces comparaisons m'ont rendu malheureux, et c'est pourquoi j'ai décidé de faire un pas de côté." Ce recul s'est avéré salvateur pour laisser le champ libre à la quête de soi : "Je me suis éloigné des stéréotypes, des attentes et des normes. Je ne veux plus à tout prix répondre à un certain idéal de masculinité. Avant, je suivais ce que les autres pensaient, mais j'ai dû laisser ma propre personnalité s'exprimer, être pleinement moi. Parce que je suis plus qu'un transsexuel, je suis Yordan. À la longue, on ferme aussi la porte à cette idée d'être trans. L'acceptation par autrui est très importante à cet égard : c'est grâce à mes collègues, qui m'ont considéré comme un garçon, comme Yordan, que j'ai commencé à me voir aussi comme tel."

Avenir

Comment Yordan envisage-t-il l'avenir ? Où veut-il encore parvenir ? "Dans cinq ans, j'aurai 28 ans. J'espère que je serai alors qui je veux être vraiment. J'ai l'impression d'aller davantage vers le côté androgyne, mais je n'ose pas aborder ce sujet pour l'instant. J'adore le vernis à ongles, par exemple, mais je n'ose pas encore. Je suis encore en proie à des incertitudes. C'est quelque chose que je dois encore travailler." 

Yordan a énormément progressé dans l'acceptation de soi en l'espace de quatre ans. C'est aujourd'hui pour lui une évidence. "Je suis heureux d'être ce que je suis. "Je me suis créé l'image de ce que je veux être. Il y a des moments où je me demande pourquoi je ne suis pas né cisgenre. Pourquoi ai-je ces cicatrices ? Mais le lendemain, je me promène fièrement torse nu et je me rends compte que je ne me suis pas résigné. J'ai changé de nom, j'ai commencé un traitement hormonal. J'ai fait tout ce qu'il fallait. Et j'en suis vachement fier."